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LETTRE LII.


elle y réussit ; car cela approche de l’enfance. Ah, bon Dieu ! dis-je en moi-même, ne sentirons-nous jamais que le ridicule des autres ? C’est peut-être un bonheur, disais-je ensuite, que nous trouvions de la consolation dans les faiblesses d’autrui. Cependant j’étais en train de me divertir ; et je dis : Nous avons assez monté ; descendons à présent, et commençons par la vieille qui est au sommet. Madame, vous vous ressemblez si fort, cette dame à qui je viens de parler et vous, qu’il semble que vous soyez deux sœurs ; je vous crois, à peu près, de même âge.[1] Vraiment, monsieur, me dit-elle, lorsque l’une mourra, l’autre devra avoir grand’peur : je ne crois pas qu’il y ait d’elle à moi deux jours de différence. Quand je tins cette femme décrépite, j’allai à celle de soixante ans. Il faut, madame, que vous décidiez un pari que j’ai fait : j’ai gagé que cette dame et vous, lui montrant la femme de quarante ans, étiez de même âge. Ma foi, dit-elle, je ne crois pas qu’il y ait six mois de différence. Bon, m’y voilà ; continuons. Je descendis encore, et j’allai à la femme de quarante ans. Madame, faites-moi la grâce de me dire si c’est pour rire que vous appelez cette demoiselle, qui est à l’autre table, votre nièce ? Vous êtes aussi jeune qu’elle ; elle a même quelque chose dans le visage de passé, que vous n’avez certainement pas : et ces couleurs vives qui paraissent sur votre teint… Attendez, me dit-elle : je suis sa tante ; mais sa mère avait, pour le moins, vingt-cinq ans plus que moi : nous n’étions pas de même lit ; j’ai ouï dire à feu ma sœur que sa fille et moi naquîmes la même année. Je le disais bien, madame, et je n’avais pas tort d’être étonné.

  1. A. C. Deux sœurs, et je ne crois pas que vous soyez plus âgées l’une que l’autre. Et vraiment, monsieur, etc.