Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/198

Cette page n’a pas encore été corrigée
176
LETTRES PERSANES.


voulez encore souffrir celle-ci. Qui est ce grand jeune homme qui a des cheveux, peu d’esprit et tant d’impertinence ? D’où vient qu’il parle plus haut que les autres et se sait si bon gré d’être au monde ? C’est un homme à bonnes fortunes, me répondit-il. A ces mots, des gens entrèrent, d’autres sortirent ; on se leva ; quelqu’un vint parler à mon gentilhomme, et je restai aussi peu instruit qu’auparavant. Mais un moment après, je ne sais par quel hasard, ce jeune homme se trouva auprès de moi ; et m’adressant la parole : Il fait beau ; voudriez-vous, monsieur, faire un tour dans le parterre ? Je lui répondis le plus civilement qu’il me fut possible, et nous sortîmes ensemble. Je suis venu à la campagne, me dit-il, pour faire plaisir à la maîtresse de la maison, avec laquelle je ne suis pas mal. Il y a bien certaine femme dans le monde qui ne sera pas de bonne humeur ; [1] mais qu’y faire ? Je vois les plus jolies femmes de Paris ; mais je ne me fixe pas à une, et je leur en donne bien à garder ; car, entre vous et moi, je ne vaux pas grand’chose. Apparemment, monsieur, lui dis-je, que vous avez quelque charge ou quelque emploi qui vous empêche d’être plus assidu auprès d’elles. Non, monsieur ; je n’ai d’autre emploi que de faire enrager un mari, ou désespérer un père ; j’aime à alarmer une femme qui croit me tenir, et la mettre à deux doigts de ma perte. [2] Nous sommes quelques jeunes gens qui partageons ainsi tout Paris, et l’intéressons à nos moindres démarches. A ce que je comprends, lui dis-je, vous faites plus de bruit que le guerrier le plus valeureux et vous êtes plus

  1. A. C. Qui pestera un peu.
  2. La tournure est un peu forcée ; mais elle exprime bien la fatuité du personnage. Dans quelques éditions on a imprimé : la mettre à deux doigts de sa perte ; c’est corriger Montesquieu mal à propos.