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LETTRES PERSANES.


sujets sous un arbre. Il était sur son trône, c’est-à-dire, sur un morceau de bois, aussi fier que s’il eût été assis sur celui du Grand Mogol ; il avait trois ou quatre gardes avec des piques de bois ; un parasol, en forme de dais, le couvrait de l’ardeur du soleil ; tous ses ornements, et ceux de la reine sa femme, consistaient en leur peau noire et quelques bagues. Ce prince, plus vain encore que misérable, demanda à ces étrangers si on parlait beaucoup de lui en France. Il croyait que son nom devait être porté d’un pôle à l’autre : et, à la différence de ce conquérant de qui on a dit qu’il avait fait taire toute la terre, il croyait, lui, qu’il devait faire parler tout l’univers.

Quand le kan [1] de Tartarie a dîné, un héraut crie que tous les princes de la terre peuvent aller dîner, si bon leur semble ; et ce barbare, qui ne mange que du lait, qui n’a pas de maison, qui ne vit que de brigandage, regarde tous les rois du monde comme ses esclaves, et les insulte régulièrement deux fois par jour.

De Paris, le 28 de la lune de rhégeb, 1713.

  1. A. Quand le cam de Tartarie.