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LETTRE XXVIII.



LETTRE XXVIII.

RICA A ***

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu’elle se passe tous les jours à Paris.

Tout le peuple s’assemble sur la fin de l’après-dînée, et va jouer une espèce de scène, que j’ai entendu appeler comédie. [1] Le grand mouvement est sur une estrade, qu’on nomme le théâtre. [2] Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits, qu’on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse.

Ici, [3] c’est une amante affligée, qui exprime sa langueur ; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même : toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n’en est que plus vive. [4] Là, les actrices [5] ne paraissent qu’à demi-corps, et ont ordinairement un manchon

  1. La Comédie-Française.
  2. Dufresny, Amusements sérieux et comiques, ch. V. « Entrons vite, et plaçons-nous sur le théâtre. — Sur le théâtre ! repartit mon Siamois, vous vous moquez ; ce n’est pas nous qui devons nous donner en spectacle, nous venons pour le voir. — N’importe, lui dis-je, allons nous y étaler ; on n’y voit rien ; on y entend mal ; mais c’est la place la plus chère et par conséquent la plus honorable. »
  3. A.C. Tantôt c’est une amante, etc., tantôt une autre, avec des yeux vifs et un air passionné, devore des yeux etc.
  4. A.C. Qui n’en n’est que plus vive pour être muette.
  5. A.C. Là les acteurs, etc.