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LETTRE XXVI.


comme si elles voulaient demander leur défaite ; elles les cherchent de leurs regards ; elles les voient dans les mosquées, les promenades, chez elles même : l’usage de se faire servir par des eunuques leur est inconnu. Au lieu de cette noble simplicité, et de cette aimable pudeur qui règne parmi vous, on voit une impudence brutale, à laquelle il est impossible de s’accoutumer.

Oui, Roxane, si vous étiez ici, vous vous sentiriez outragée dans l’affreuse ignominie où votre sexe est descendu ; vous fuiriez ces abominables lieux ; et vous soupireriez pour cette douce retraite, où vous trouvez l’innocence, où vous êtes sûre de vous-même, où nul péril ne vous fait trembler, où enfin vous pouvez m’aimer, sans craindre de perdre jamais l’amour que vous me devez.

Quand vous relevez l’éclat de votre teint par les plus belles couleurs ; quand vous vous parfumez tout le corps des essences les plus précieuses ; quand vous vous parez de vos plus beaux habits ; quand vous cherchez à vous distinguer de vos compagnes par les grâces de la danse, et par la douceur de votre chant ; que vous combattez gracieusement avec elles de charmes, de douceur et d’enjouement, je ne puis pas m’imaginer que vous ayez d’autre objet que celui de me plaire ; et, quand je vous vois rougir modestement, que vos regards cherchent les miens, que vous vous insinuez dans mon cœur par des paroles douces et flatteuses, je ne saurais, Roxane, douter de votre amour.

Mais que puis-je penser des femmes d’Europe ? L’art de composer leur teint, les ornements dont elles se parent, les soins qu’elles prennent de leur personne, le désir continuel de plaire qui les occupe, sont autant de taches faites à leur vertu, et d’outrages à leurs époux.

Ce n’est pas, Roxane, que je pense qu’elles poussent