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ne practique pour moy cette excuse) qu’aux guerres estrangeres, desquelles pourtant, selon nos loix, ne s’empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s’y engagent tout à faict, le peuvent avec tel ordre et attrempance que l’orage devra couler par dessus leur teste sans offence. N’avions nous pas raison de l’esperer ainsi du feu Evesque d’Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j’en cognois, entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de meurs ou si equables ou si douces qu’ils seront pour demeurer debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Je tiens que c’est aux Roys proprement de s’animer contre les Roys, et me moque de ces esprits qui de gayeté de cœur se presentent à querelles si disproportionnées : car on ne prend pas querelle particuliere avec un prince pour marcher contre luy ouvertement et courageusement pour son honneur et selon son devoir ; s’il n’aime un tel personnage, il fait mieux, il l’estime. Et notamment la cause des loix et defence de l’ancien estat a tousjours cela que ceux mesmes, qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s’ils ne les honorent. Mais il ne faut pas appeller devoir (comme nous faisons tous les jours) une aigreur et aspreté intestine qui naist de l’interest et passion privée ; ny courage, une conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele leur propension vers la malignité et violence : ce n’est pas la cause qui les eschauffe, c’est leur interest ; ils attisent la guerre non par ce qu’elle est juste, mais par ce que c’est guerre. Rien n’empéche qu’on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement : conduisez vous y d’une, sinon par tout esgale affection (car elle peut souffrir differentes mesures), mais au moins temperée, et qui ne vous engage tant à l’un qu’il puisse tout requerir de vous ; et vous contentez aussi d’une moienne mesure de leur grace, et de couler en eau trouble sans y vouloir pescher. L’autre manière, de s’offrir de toute