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aye, soit creu de ce qui est humain ; de ce qui est hors de sa conception et d’un effect supernaturel, il en doit estre creu lors seulement qu’une approbation supernaturelle l’a authorisé. Ce privilege qu’il a pleu à Dieu donner à aucuns de nos tesmoignages ne doibt pas estre avily et communiqué legerement. J’ay les oreilles battues de mille tels comptes : Trois le virent un tel jour en levant ; trois le virent lendemain en occident, à telle heure, tel lieu, ainsi vestu. Certes je ne m’en croirois pas moy mesme. Combien trouvé-je plus naturel et plus vraysemblable que deux hommes mentent, que je ne fay qu’un homme en douze heures passe, quand et les vents, d’orient en occident ? Combien plus naturel que nostre entendement soit emporté de sa place par la volubilité de nostre esprit detraqué, que cela, qu’un de nous soit envolé sur un balay, au long du tuiau de sa cheminée, en chair et en os, par un esprit estrangier ? Ne cherchons pas des illusions du dehors et inconneues, nous qui sommes perpetuellement agitez d’illusions domestiques et nostres. Il me semble qu’on est pardonnable de mescroire une merveille, autant au moins qu’on peut en destourner et elider la verification par voie non merveilleuse. Et suis l’advis de sainct Augustin, qu’il vaut mieux pancher vers le doute que vers l’asseurance és choses de difficile preuve et dangereuse creance. Il y a quelques années, que je passay par les terres d’un prince souverain, lequel, en ma faveur et pour rabatre mon incredulité, me fit cette grace de me faire voir en sa presence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de cette nature, et une vieille entre autres, vrayment bien sorciere en laideur et deformité, tres-fameuse de longue main en cette profession. Je vis et preuves et libres confessions et je ne sçay quelle marque insensible sur cette miserable vieille, et m’enquis et parlay tout mon saoul, y apportant la plus saine attention que je peusse ; et ne suis pas homme