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lettre. Tout à coup, ces paroles frappèrent son oreille :

« La patronne m’envoie vous demander si vous en serez et si vous voulez signer la feuille, pour le repas par souscription que les camarades offrent à maman Lison, jeudi prochain, pour fêter la veine qu’elle a eue de ne pas être écrabouillée par l’échafaudage des peintres en bâtiment. »

La foudre tombant au milieu de la table où écrivait Ovide n’aurait pas produit sur lui un effet plus terrifiant. Il sentait une sueur glacée mouiller ses membres.

« Jeanne Fortier vivante ? balbutia-t-il. Lorsque je l’avais vue sanglante, inanimée, écrasée ! Vivante comme sa fille ! »

La voix attira de nouveau son attention.

« Voici la liste, disait cette voix. Signez, casquez, et pas un mot à Lise Perrin si vous la voyez. C’est une surprise… Mais, chut ! plus un mot. V’là maman Lison. »

Jeanne Fortier venait en effet d’entrer dans la salle avec une autre porteuse de pain. Ovide, reprenant un peu de sang-froid, souleva légèrement un coin du rideau et regarda, en ayant soin de ne pas se montrer. Il vit Jeanne. Elle portait encore un bandeau sur la coupure de son front.

« Ah ! oui, elle est bien vivante ! murmura-t-il en laissant tomber le rideau. Donc, pour Jacques, les dangers sont toujours les mêmes, et aussi terribles pour moi que pour lui. Puis, la voyant saine et sauve, Jacques refusera de me donner l’argent qui payait sa mort ! Tout serait perdu ! Il ne faut pas que le hasard puisse les mettre en présence ! Je reculerai, s’il le faut, mon voyage de quelques jours. »

Au lieu de terminer la lettre commencée, Ovide la froissa et la mit dans sa poche. Ensuite il sortit, se rendit au Temple et fit des emplettes dans plusieurs boutiques. Il entra chez un coiffeur, se fit tailler les cheveux très court, raser ses favoris et ses moustaches, et regagna l’avenue de Clichy.

Une heure après, il ressortait de son domicile, revêtu d’un costume d’un gris blanc comme en portent les