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absence ?… Vous ne l’avez pas vu, vous, maman Lison ? »

Jeanne affermit de son mieux sa voix pour répliquer :

« Non, je ne l’ai pas vu.

– La concierge m’a dit qu’il paraissait tout triste. Maman Lison, j’ai peur… Depuis ce matin, depuis cette visite de Melle Harmant, j’ai des pressentiments funestes.

– Il faut vous distraire. Si vous voulez, je dînerai avec vous.

– C’est une bonne pensée, cela, maman Lison.

– Je vais aller aux provisions et préparer tout. »

Jeanne embrassa de nouveau sa fille et sortit pour aller aux provisions en se disant :

« Pauvre chère mignonne ! Quand elle connaîtra la vérité, comme elle va souffrir ! »

* * *

Lucien, arrivé rue Murillo, se fit annoncer ; Mary, adossée à la cheminée du petit salon, attendait. Le seul aspect du visage du jeune homme lui fit comprendre que le visiteur se trouvait sous le coup d’une violente émotion.

« Mon père n’est point encore arrivé, monsieur Lucien, fit-elle. Mais comme vous êtes pâle ! Souffrez-vous ?

– Oui, mademoiselle, répondit Lucien d’une voix basse et brisée. J’ai beaucoup souffert et je souffre encore.

– Avez-vous eu avec mon père quelque discussion ?…

– Écoutez-moi, mademoiselle. Nous sommes arrivés à un moment décisif. Il faut entre nous une situation nette. »

En entendant ce préambule, Mary devint livide.

« Le hasard, ou pour mieux dire et pour dire vrai, le besoin de travail, m’a conduit un jour près de vous. Ce jour-là vous avez été pour moi bonne, affectueuse, compatissante, et en vous jurant une reconnaissance éternelle, je ne mentais pas. J’eus l’honneur insigne d’être remarqué par vous et de vous inspirer un sentiment de bienveillance qu’assurément je ne méritais pas, que je n’espérais pas…