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Et Jeanne que la joie et la douleur suffoquaient balbutia :

« Oui, Lucie est bien la fille de Jeanne Fortier la condamnée ; mais doit-elle être châtiée pour une faute qui n’est pas la sienne ? Il serait noble et grand de lui tendre la main… Il serait cruel de l’abandonner…

– Lui tendre la main… Dieu m’est témoin que je le voudrais, mais je ne peux pas. Sa mère a tué mon père !

– Oui, mais est-ce vrai ? Vous-même, je vous ai entendu le dire, vous croyez la mère innocente !

– Je l’ai cru. Je le crois encore… mais ma croyance n’est point une preuve. Si je voyais Jeanne Fortier, je lui dirais : « Démontrez-moi votre innocence, et je consacrerai ma vie à obtenir votre réhabilitation… » Au cours du procès, Jeanne Fortier affirmait avoir eu en sa possession une lettre écrite par le contremaître Jacques Garaud et prouvant que lui seul est l’auteur de tous les crimes commis à Alfortville. C’est cette lettre qu’il faudrait retrouver à tout prix, pour suivre la piste de Jacques Garaud qui sans doute est heureux et riche sous un nom d’emprunt. Une fois que je tiendrais cet homme, je me fais fort de lui arracher la preuve de l’innocence de Jeanne ; mais jusque-là le doute m’empêchera de donner mon nom à la fille de la condamnée… »

Un instant, la pauvre mère eut l’envie de lui crier :

« Mais Jeanne Fortier, c’est moi ! »

La réflexion l’arrêta cette fois encore. À quoi servirait un aveu ? Cette preuve dont parlait Lucien, cette lettre, elle la croyait brûlée. Aujourd’hui comme au jour du jugement, tout l’écrasait.

« Ainsi la pauvre Lucie est condamnée, fit-elle avec des sanglots. La honte de sa mère fera son malheur… Je ne vous adresse aucun reproche. Je comprends que vous ne pouvez unir votre nom sans tache à son nom déshonoré.

– Le monde me traiterait de fils dénaturé ! répliqua Lucien.

– Comment saurait-il votre secret ?

– On le lui révélerait bien vite.