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tout son corps. On vint annoncer que le dîner était servi. Mary, palpitante d’amour, s’appuya sur le bras du fiancé de Lucie pour passer à la salle à manger. Vers dix heures, Lucien prit congé.

« N’oubliez point, lui dit Mary, que demain votre couvert sera mis à notre table. »

Il partit. En se trouvant dehors, au grand air, il avait un poids de moins sur la poitrine, et cependant il se reprochait de n’avoir pas eu le courage d’une entière franchise.

« Qu’adviendra-t-il de tout cela ? se demanda-t-il en passant la main sur son front brûlant. Pauvre Mary ! Je ne puis lui en vouloir de m’aimer. Ce n’est point sa faute… Les jours de la malheureuse enfant sont comptés. Le moment est proche où son amour ne sera plus une gêne pour moi… »

Paul Harmant était resté seul avec sa fille.

« Eh bien, lui demanda-t-il, crois-tu enfin que j’avais raison quand je t’ai dit qu’il viendrait et qu’il t’aimerait ? »

Mary pencha mélancoliquement la tête sur sa poitrine.

« Oui, il est venu, répondit-elle, et j’ai été heureuse, mais je le suis moins à cette heure… que je l’ai entendu…

– Moins heureuse ? Tout ce que tu proposais, il l’a accepté…

– Tu te trompes, il n’a pas tout accepté.

– Je trouve très naturel qu’il ait voulu se réserver quelques heures pour aller voir ses amis.

– Ce ne sont point ses amis qu’il ira voir ! répliqua Mary avec véhémence. S’il a cédé à quelques-unes de mes exigences, c’est que celles-là ne dérangeaient rien à sa vie ! Il garde les dimanches pour les consacrer à celle dont je suis jalouse !…

– Jalouse de cette Lucie !

– Oui, jalouse ! et pourquoi non ? Ah ! tu ne sais pas, père, tout ce que je souffre… Il y a des heures où je vois rouge… Oui, je deviendrais criminelle… Je tuerais cette Lucie ! Lucie morte, il ne pourrait plus l’aimer…

– Voyons, Mary, calme-toi.