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madame Fortier, dit l’ingénieur après un silence, et je le regrette. Cependant vous êtes digne d’intérêt… »

En ce moment le caissier Ricoux entra dans le cabinet pour soumettre au patron des pièces de comptabilité. La vérification opérée, le caissier reprit ses pièces. Il allait sortir, mais ses yeux tombèrent sur la jeune veuve, et il dit :

– Puisque Mme Fortier est là, ayez donc la bonté, monsieur, de lui apprendre qu’il lui est absolument défendu d’introduire du pétrole dans l’usine pour son usage particulier. »

M. Labroue bondit.

« Du pétrole ! s’écria-t-il, du pétrole ici !

– Oui, monsieur, répondit le caissier, Mme Fortier se sert d’une lampe à huile minérale. J’ai senti hier, auprès de sa loge, l’odeur du pétrole renversé.

– Prétendez-vous ignorer, madame, que ceci constitue une désobéissance formelle au règlement ? demanda l’ingénieur.

– Je l’ignorais, monsieur.

– C’est impossible !

– Je ne mens jamais. À quoi me servirait d’ailleurs un mensonge ? Je vois bien que la mesure est comble.

– Et vous ne vous trompez point, madame, répliqua M. Labroue. À la fin du mois vous quitterez l’usine.

– Ainsi, balbutia Jeanne qu’étouffaient les sanglots, vous me chassez !… Mon mari est mort dans votre maison, tué pour votre service, à son poste, comme un soldat. Que vous importe ! Vous me chassez ! Que deviendrai-je ? que deviendront mes petits enfants ? Peu vous importe encore ! Ah ! tenez, monsieur, prenez garde, cela ne vous portera pas bonheur !… »

M. Labroue regarda Jeanne fixement.

« Qu’est-ce à dire ? demanda-t-il.

– Malheureuse ! s’écria le caissier. C’est une menace !

– Non, monsieur, répondit Jeanne qui sanglotait, je ne menace pas, je ne menace personne, j’accepte le malheur qui, coup sur coup, me frappe, et je garde pour moi mon chagrin… Je suis fautive, j’en dois porter la peine. Je partirai, monsieur, je m’en irai dans huit