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« Vous m’avez fait demander, monsieur ?

– Oui, madame, répondit l’ingénieur d’un ton rude. J’ai besoin de savoir pourquoi vous vous êtes absentée de l’usine, cet après-midi, confiant à une ouvrière la garde de votre loge, ce qui est absolument contraire à la règle établie.

– Monsieur, répliqua Jeanne, si j’ai cru pouvoir quitter ma loge, c’était pour les besoins de l’usine. J’allais acheter le combustible nécessaire à l’entretien des lampes de nuit.

– Soit ! Mais rien ne vous empêchait d’attendre la fermeture des ateliers pour faire cette emplette. De plus, votre faiblesse à l’endroit de Vincent prouve qu’il est impossible de compter sur vous. Encore une fois, madame, je me suis fourvoyé en faisant de vous la gardienne de l’usine. »

Jeanne avait les yeux pleins de larmes.

« Je n’ai pas sollicité cet emploi, monsieur, fit-elle avec dignité, vous avez cru devoir me l’offrir pour m’aider à vivre après la mort de mon pauvre mari tué à votre service. J’ai accepté en vous bénissant, car je n’avais que la misère en perspective. Mais vous m’adressez de durs reproches et j’ai conscience de ne les point mériter.

– Quoi ! prétendez-vous n’avoir point désobéi aux règlements ?

– J’ai prié une femme qui travaille à ses pièces de me remplacer. Le temps que cette femme a perdu lui appartenait.

– Vous déplacez la question ! répliqua l’ingénieur irrité de se voir tenir tête. C’est à vous seule qu’a été confiée la garde de l’usine. Mais passons ! Vous avez laissé sortir un ouvrier sans autorisation.

– C’est vrai, monsieur, j’ai été faible devant les prières de Vincent, j’ai cédé, j’ai désobéi, mais vous savez pourquoi, monsieur ; à moins d’avoir un cœur de pierre, tout le monde à ma place aurait agi comme j’ai agi.

– Nous ne sommes guère faits pour vivre ensemble,