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Lucien Labroue et les hommes qui l’accompagnaient étaient arrivés à Bellegarde à dix heures du soir.

Pendant le voyage, le jeune homme s’était livré tout entier à ses réflexions. Sa mémoire lui retraçait les moindres détails de la scène qui s’était passée le dimanche dans la chambrette de l’ouvrière. Il revoyait le visage pâle de la pauvre Mary ; il revoyait ses lèvres contractées, ses yeux pleins de larmes. Il se rendait compte des souffrances de ce cœur que son indifférence et son amour pour Lucie livraient au désespoir, et il en éprouvait une profonde compassion.

« Elle se meurt… pensait-il et j’augmente ses douleurs… Ne serait-ce point une bonne action de lui laisser croire jusqu’à la fin que je pourrai l’aimer un jour ? Elle a si peu de temps à vivre. Si je faisais cette bonne action, et si Lucie en était instruite, elle a le cœur trop généreux pour ne pas approuver. »

Lucien termina la lettre qu’il écrivait à l’industriel par ces mots :

« Veuillez, je vous prie, être auprès de Mlle Mary l’interprète de mes sentiments de très reconnaissante et respectueuse affection. Malgré la distance qui nous sépare, Mlle Mary est sans cesse présente à ma pensée. Je n’oublie point que si je suis votre collaborateur c’est à elle que je le dois. »

« Il me semble qu’en traçant ces lignes j’allège ma conscience d’un fardeau… » pensa le jeune homme.

Cette lettre achevée, Lucien en écrivit à Lucie une autre où la tendresse profonde, l’amour infini débordaient. Le courrier du soir emporta les deux épîtres. Si Lucie fut heureuse en recevant la sienne, le faux Paul Harmant ne le fut pas moins en lisant les phrases que nous avons cru devoir citer textuellement. Ces phrases lui semblèrent d’heureux augure, à tel point qu’il fut tout près de renoncer au projet de faire disparaître Lucie.

Tout joyeux, il monta près de Mary, afin de lui communiquer les derniers paragraphes de la lettre de