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méconnu lui brisait le cœur et augmentait ses douleurs physiques ; elle devenait de jour en jour plus pâle et plus amaigrie, si bien que Paul Harmant, oubliant ses propres angoisses, se tourmentait de l’état de sa fille. Les médecins déguisaient leur impuissance sous cette formule :

« Mariez cette enfant… »

Un matin, Mary résolut de porter à son père le coup qu’elle préparait depuis longtemps. À demi couchée sur une chaise longue auprès de la fenêtre, elle laissait errer dans le vague les regards de ses yeux attristés. Son père entra. En entendant marcher derrière elle, l’enfant tourna la tête et, voyant son père, elle appela sur ses lèvres un sourire d’une expression navrante. La pâleur de Mary avait augmenté ; la tache rouge de ses pommettes tranchait sur cette pâleur.

Le millionnaire vint s’asseoir près de sa fille, lui prit les mains et les trouva brûlantes.

« Tu as la fièvre, mignonne… dit-il. Tu souffres ?

– Oui, c’est vrai, je souffre… Je souffre beaucoup…

– Où est ton mal ?

– Au cœur. »

L’assassin de Jules Labroue tressaillit.

« Tu ne m’avais jamais parlé de ce mal.

– C’est qu’il est de date récente… Père, ajouta la jeune fille en baissant la voix, je dois te dire la vérité tout entière.

– Parle, ma chérie. »

Mary prit à son tour les mains de son père, et, tournant vers lui ses yeux pleins de larmes, elle lui dit :

« Ma plus grande souffrance, vois-tu, c’est la peur de t’affliger qui en est la cause. J’ai bien compris que tu rêvais pour moi ce qu’on appelle un beau mariage.

– C’est vrai. J’ambitionne pour toi des destinées si hautes, que tu seras enviée de toutes les femmes.

– Eh bien, père, il ne faut plus ambitionner cela. Un seul mariage peut me donner le bonheur. S’il ne s’accomplit point, je ne me marierai jamais. Père, depuis deux mois, je souffre de te cacher le secret qui remplit mon âme… J’aime quelqu’un. »