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J’aurai dix-neuf ans bientôt !… Ne songes-tu point à me marier ? »

L’ex-contremaître de Jules Labroue eut un petit frisson.

« Te marier déjà ! me séparer de toi ! murmura-t-il. Mais c’est ta présence qui me donne l’activité, l’ambition ! Si tu n’étais pas là, il me semble que je n’aurais plus qu’à mourir ! »

Et Jacques Garaud disait vrai. Depuis son retour en France il était, à de fréquents intervalles, assailli par des remords qu’il ne parvenait à chasser qu’en regardant sa fille.

« Tu as dû penser cependant plus d’une fois qu’un jour viendrait où mon cœur ne t’appartiendrait plus, plus à toi seul.

– J’y ai pensé souvent, et jamais sans souffrir ! Je sais que ce jour arrivera, mais j’essaie de le reculer. Et puis j’ai fait un rêve.

– Lequel ?

– Je veux pour toi un mari qui flatte ton orgueil.

– Flatter mon orgueil, à quoi bon ? Ce n’est pas dans les satisfactions vaniteuses qu’est le bonheur.

– Eh ! qui donc ne t’aimerait ? » s’écria Paul Harmant.

Mary sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle pensait à Lucien Labroue. Puis elle releva la tête et dit :

« Je ne tiens pas à ce que l’homme que j’épouserai soit riche. Je ne lui demanderai que trois qualités : la franchise, la résolution et le courage. Avec cela, on a tout ce qu’il faut pour devenir quelqu’un, fût-on le plus modeste employé. »

Paul Harmant écoutait sa fille d’un air impassible. Au fond, il comprenait à merveille qu’elle venait de faire allusion à l’homme qu’elle aimait, à Lucien Labroue.

Peut-être cet amour n’était-il pas encore arrivé au point où tout cède devant la passion, mais il existait, et son existence lui causait un profond effroi. L’idée de donner Mary à Lucien l’épouvantait. Il sentait un froid mortel glacer le sang de ses veines à la pensée de