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Le matin de ce même dimanche, Mary s’était levée plus tard que de coutume. La fille du millionnaire était ce jour-là singulièrement sombre et triste.

Mary souffrait véritablement. L’amour, dans ce cœur tout neuf, avait fait des progrès rapides. La jeune malade avait agi de manière à ce que Lucien ne pût ignorer la passion qu’il inspirait. Pourquoi donc semblait-il dédaigner cette passion ?

Le fils de Jules Labroue s’était bien aperçu des sentiments de la jeune fille, mais outre qu’il aimait Lucie exclusivement, l’énorme fortune de Paul Harmant lui semblait créer, entre lui et Mary, un abîme infranchissable. Il avait donc une double raison pour accueillir avec une froideur respectueuse les avances de Melle Harmant.

À de certaines heures, l’enfant se disait :

« Peut-être m’aime-t-il, mais, sans fortune, il n’ose lever les yeux sur moi. Il faut l’éclairer ; si je ne puis être à lui, je mourrai. »

La femme de chambre vint l’avertir que le déjeuner était servi. Mary descendit et rejoignit son père dans le petit salon. Il l’embrassa à deux ou trois reprises.

« Tu es sortie de chez toi ce matin plus tard que de coutume, chère mignonne, lui dit-il ensuite. Es-tu souffrante ?

– Un peu… répliqua la jeune fille. Mais ce n’est point cela qui m’a fait garder la chambre… J’étais en humeur de réfléchir. »

Ils gagnèrent la salle à manger.

« Voyons, reprit Harmant, après avoir servi sa fille, à quelles choses sérieuses pensais-tu ?

– Je me disais qu’il y a dans la vie plus d’ombre que de soleil et plus de souffrance que de joie.

– Que te manque-t-il pour être heureuse ?

– Je suis heureuse de ta tendresse, mais la tendresse d’un père ne suffit pas à remplir un cœur de jeune fille…