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Le médecin, le jour suivant, trouva la condamnée debout, le regard brillant, le visage animé, la physionomie expressive.

Il comprit que quelque chose d’inattendu se passait en elle. Il ouvrait la bouche pour l’interroger. Jeanne ne lui en laissa pas le temps :

« Vous êtes médecin, n’est-ce pas ? lui demanda-t-elle.

– Oui… fit-il étonné.

– Je suis donc dans un hospice ?…

– Vous êtes dans un hospice, oui…

– Pourquoi ne suis-je pas dans la prison où je dois subir ma peine ? reprit la veuve de Pierre Fortier.

– Vous êtes à la Salpêtrière et la Salpêtrière est une prison en même temps qu’un hospice. »

Jeanne tressaillit, devint très pâle et s’écria :

« À la Salpêtrière… Le vide qui s’était fait dans ma mémoire se remplit. C’est à la Salpêtrière qu’on enferme les condamnées frappées de folie… J’ai été folle… »

Le médecin hésita. Jeanne continua :

« Oui, j’ai été folle. N’essayez pas de me le cacher… J’ai été folle, mais je ne le suis plus. Les ténèbres sont dissipées… je me souviens… On m’a condamnée à la réclusion perpétuelle pour avoir incendié, volé, assassiné… En entendant prononcer ma condamnation (condamnation injuste, je le jure !…) je me suis évanouie… Ce qui s’est passé depuis lors autour de moi, je l’ignore… Il me semble que j’ai dormi d’un long sommeil… Répondez-moi… Depuis combien de temps suis-je folle ? Depuis combien de temps suis-je à la Salpêtrière ?

– Il me suffit de consulter votre pancarte… répliqua le médecin. Vous êtes ici depuis le 14 mars 1862.

– Et nous sommes en quelle année ?

– En 1871.

– Neuf ans ! Il y a neuf ans que je suis folle ! Personne ne se souvient de moi ! Personne ne venait me voir ici n’est-ce pas ?

– Personne… répondit l’infirmière.

– Et j’avais deux enfants, poursuivit la malheureuse femme en éclatant en sanglots, mon fils Georges, ma fille Lucie… Que sont-ils devenus ? Sont-il vivants encore seulement ?…