Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

rejoignit la mère et l’enfant. Jeanne, très agitée, faisait sur elle-même un violent effort pour cacher son trouble. Le nouveau venu prit Georges dans ses bras, le souleva, et l’embrassa sur les deux joues en lui disant :

« Bonjour, bébé ! »

Puis, le remettant à terre, il poursuivit, non sans amertume :

« Savez-vous, madame Fortier, qu’on jurerait que je vous fais peur ! Pourquoi ça ? Vous m’aviez bien entendu tout à l’heure, et au lieu de m’attendre vous avez hâté le pas.

Qu’est-ce que je vous ai fait ?… »

Jeanne répondit, avec un embarras manifeste :

« Je ne vous avais pas entendu, et je me dépêchais pour rentrer à la fabrique, car j’ai donné ma loge à garder, et je suis fautive.

– Est-ce vrai que vous ne m’aviez pas entendu ?

– Puisque je vous le dis.

– Ce n’est point une raison pour que je le croie. Vous évitez toujours de vous trouver auprès de moi. Vous savez pourtant que je suis très heureux, quand je puis échanger avec vous quelques paroles.

– Monsieur Jacques, dit vivement la jeune femme, ne recommencez pas à me parler comme vous l’avez fait plusieurs fois ! Cela me cause beaucoup de peine.

– Et moi, Jeanne ! La froideur de votre accueil, votre air de défiance avec moi me font cruellement souffrir. Je vous aime de toutes mes forces ! Je vous adore !

– Vous voyez bien, interrompit la jeune veuve, vous voyez bien que j’avais raison de hâter le pas pour ne pas vous entendre.

– Est-ce que je puis me taire quand je suis près de vous et que mon unique pensée, c’est vous ? Jeanne, je vous aime ! Il faut vous habituer à me l’entendre répéter.

– Et sans cesse, je vous dirai, moi, je vous répéterai que votre amour est une folie ! répliqua la jeune veuve.

– Une folie ! Pourquoi ?

– Je ne me remarierai jamais, j’en suis sûre.

– Et moi je suis sûr du contraire. Vous êtes jeune, vous êtes jolie. Est-ce que vous pouvez passer dans le veuvage, dans la solitude, le reste de vos jours ?