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– Hélas ! oui, c’est vrai…

– On lui a fait un bel enterrement au pauvre Fortier. Vous avez eu une collecte des ouvriers de l’usine, et le patron s’y est inscrit pour cent francs… Enfin il vous a installée dans la fabrique comme gardienne, et ça n’est guère une place de femme…

– Certes, M. Labroue a été bon, très bon, murmura tristement la jeune veuve. On prétend qu’il est dur, sa conduite avec moi prouve le contraire, mais enfin c’est dans sa maison que mon mari a été tué !… Si ce n’avait été pour mes enfants, je n’aurais jamais accepté un emploi qui me force à vivre dans l’endroit où le sang de mon pauvre Pierre a coulé.

– Il faut se faire une raison, ma fille. Vous êtes jeune… vous êtes jolie… très jolie même ! Vous verrez qu’un jour un bon garçon vous demandera de l’épouser, et vous ne lui répondrez pas non…

– Oh ! quant à cela, jamais ! s’écria Jeanne Fortier.

– À votre âge on ne reste pas veuve éternellement…

– Cela se voit, je le sais bien. Moi, j’ai d’autres idées ; si seulement j’avais devant moi quelque argent, deux ou trois billets de mille francs.

– Qu’est-ce que vous feriez ?

– Ce que je ferais ? Mais à quoi bon penser à cela ? Je n’aurai jamais d’argent dans les mains. Je resterai à l’usine tant que je pourrai pour mes enfants. J’espérerai en l’avenir.

– C’est ça, l’espérance donne du courage. Voici votre pétrole. Si vous m’en croyez, vous enfermerez le bidon.

– Ah ! soyez tranquille, j’ai trop peur du feu ! »

La jeune femme sortit de l’épicerie après avoir payé. Le petit Georges jouait devant. La mère l’appela. L’enfant mit sous son bras son cheval de carton et vint la rejoindre. Debout sur le seuil du magasin, l’épicière la regardait s’éloigner.

« Une brave et digne femme tout de même, murmurait-elle. Ah ! le fait est que son mari doit lui manquer, car je la crois ambitieuse. Elle ne m’a point expliqué ses idées, mais elle en a, c’est positif. Il lui faudrait