Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/10

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ils atteignirent bientôt les premières maisons d’Alfortville. La jeune femme entra dans une petite boutique d’épicerie. Une forte commère sortit aussitôt d’une pièce voisine.

« Tiens, c’est vous, m’ame Fortier ! dit-elle, bonjour, m’ame Fortier… Qu’est-ce qu’il faut vous servir ?…

– Du pétrole, s’il vous plaît…

– Du pétrole !… encore ! Mais bon dieu, qu’est-ce que vous en faites ? Vous en avez déjà pris hier.

– Mon gamin a renversé le bidon en jouant…

– C’est donc ça ! Combien qu’il vous en faut ?

– Quatre litres, afin de ne pas revenir si souvent. »

L’épicière se mit en devoir de mesurer le liquide demandé.

« C’est dangereux tout de même, ces moutards ! Savez-vous que votre gosse, en renversant le bidon, pouvait incendier l’usine ? Il aurait suffi pour ça d’une allumette. Un malheur arrive vite !…

– Aussi je l’ai joliment grondé, quoiqu’il ne l’ait point fait par malice. Il a bien promis qu’il ne recommencerait plus.

– Et vous plaisez-vous dans votre emploi, m’ame Fortier ? Vous devez gagner autant qu’à la couture…

– Bien sûr que oui, et pourtant, si je n’économisais pas sur toutes choses… Songez donc… deux enfants !

– Votre dernière, la petite Lucie, est en nourrice ?

– Oui, dans la Bourgogne, à Joigny.

– Ça vous coûte cher ?

– C’est trente francs par mois qu’il faut prendre sur mes gages… Ah ! mon pauvre mari me manque bien !…

– Je vous crois, m’ame Fortier.

– Il était si bon… si honnête… si courageux ! il m’aimait tant !… Je peux bien dire que la machine qui l’a tué en éclatant a tué en même temps mon bonheur… »

Mme Fortier passa sa main sur ses yeux.

« Faut pas pleurer, ma fille, reprit la marchande. Il y en a qui sont encore plus à plaindre que vous ne l’êtes. Le patron s’est bien conduit avec vous, car enfin je me suis laissé dire que, sans une distraction de votre cher homme, la machine n’aurait pas éclaté… Est-ce vrai ?