Page:Monod - Renan, Taine, Michelet, 1894.djvu/224

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le tableau de la France qui ouvre le second volume, la vie de Jeanne d’Arc, le règne de Louis XI, peuvent être cités parmi les plus beaux morceaux historiques qu’ait produits la littérature contemporaine. On y trouve une érudition consciencieuse, une étude approfondie des documents originaux, et en même temps un génie vraiment créateur, qui pénètre dans l’âme même des personnages et sait les faire vivre et agir. Michelet a un sens historique plus large et plus profond que ses illustres devanciers, Guizot[1] et Augustin Thierry. Tandis que ceux-ci cherchent dans le passé et y admirent surtout les institutions, les idées ou les tendances qu’ils défendent eux-mêmes dans le présent ; tandis qu’ils laissent voir partout leurs théories et leurs opinions sur

  1. Guizot ne lui fut jamais sympathique. Ils eurent des relations assez suivies vers 1830 ; et quand Guizot devint ministre en 1833, il prit Michelet pour son suppléant à la Faculté des lettres. Mais le bon accord dura peu. Dès 1835, Guizot lui préféra un catholique fervent, M. Ch. Lenormant. Les hardiesses de Michelet l’effrayaient. Celui-ci, de son côté, ne goûta jamais le talent de Guizot. Il lui reprochait d’être peu français dans sa tournure d’esprit, trop anglais dans ses idées politiques, et surtout de manquer du sens de la vie. Un jour, à l’Académie, dans une discussion sur les poèmes de l’Inde, dont Guizot critiquait l’exubérance, Michelet éclata tout à coup : « Vous ne pouvez les comprendre, s’écria-t-il, vous avez toujours haï la vie. »