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m’ont donné la première grande sensation de plaisir littéraire, à cause des classifications progressives. Mon effort est d’atteindre l’essence, comme disent les Allemands, non de primesaut, mais par une grande route, unie, carrossable. Remplacer l’intuition (Insight), l’abstraction subite (Vernunft), par l’analyse oratoire ; mais cette route est dure à creuser. » Il est deux dons de l’artiste et de l’écrivain qu’il admirait par-dessus tous les autres et qu’il regretta toujours de ne pas posséder : l’art de raconter et celui de créer des personnages vivants et agissants. Il mettait au premier rang l’art du romancier. Il essaya même d’écrire un roman, mais s’arrêta au bout de quatre-vingt-dix pages, s’apercevant que son roman n’était que de l’analyse psychologique personnelle. Aussi disait-il avec une modestie excessive : « J’ai vu de trop près les vrais artistes, les têtes fécondes, capables d’enfanter des figures vivantes, pour admettre que j’en sois un[1]. »

En même temps que ce changement se produisait dans sa manière d’écrire et dans sa méthode d’exposition, sa vie même devenait

  1. Lettre à Havet, 29 avril 1864.