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RELIGION

gitare). Tels sont les caractères essentiels de la religion romaine : les notions abstraites y sont ramenées à un concrétisme extérieur ; et elle affecte une simplicité extrême, tantôt vénérable et tantôt ridicule dans les formes. La Semence (Saturnus), le Travail des champs (Ops), la Fleur (Flora), la Guerre (Bellona), le Terme (Terminus), la Jeunesse (Juventus), le Salut (Salus), la Foi (Fides), la Concorde (Concordia) : voilà les plus anciennes, les plus saintes divinités[1]. Il en est une pourtant, une seule, qui douée d’une personnalité plus spéciale, aurait eu en Italie son culte propre et autochtone ; je veux parler du Janus à deux têtes. Encore, dans la création de cette figure, on ne trouve que l’expression de l’idée étroite qui préside à la religion des Romains. Toute action, quelle qu’elle soit, veut « s’ouvrir » par une invocation au génie tutélaire[2] : et pendant que les dieux plus individualisés des Hellènes marchent indépendants les uns des autres, à Rome, un sentiment puissant prescrit de rassembler et de réunir, dans les mêmes prières, toute la série des divines croyances.

Mais de tous les cultes pratiqués à Rome, il n’en est point peut-être qui soit plus profondément entré dans les mœurs que celui des Génies protecteurs de la maison et de la chambre d’habitation. Notons dans les rites offi-

  1. [V. Preller, à ces divers mots.]
  2. Les portes des villes et des maisons, et aussi le matin (Janus matutinus) sont chers à Janus ; il faut l’adorer avant l’invocation à tout autre dieu : dans les séries monétaires, il passe même avant Jupiter, preuve incontestable de la notion abstraite de sa divinité. Il préside à tout ce qui « s’ouvre » ou commence. La double face, tournée de deux côtés opposés, indique aussi la porte qui s’ouvre en dedans et en dehors. Il. convient d’autant moins d’en faire un dieu annal ou solaire, que le mois appelé de son nom (Januarius, janvier) est le onzième de l’année romaine et nullement le premier. J’ajoute même que ce nom du mois lui vient sans doute de ce que, précisément après le repos forcé de la mi-hiver, les travaux des champs vont reprendre leur cours. Que si, plus tard, l’année commençant à dater de janvier, son début a été de même placé sous les auspices de Janus, nul ne peut et ne doit s’en étonner.