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386 LE MISANTHROPE
PlIILINTE.
Mais on entend les gens au moins sans se fâcher.
ALCESTE.
Moi, je veux me fâcher et ne veux point entendre.
rFIILINTE.
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre,
Et, quoique amis enfin, je suis tout des premiers…
ALCESTE, se levant brusquement.
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici profession de l’être ;
Mais, après ce qu’en vous je viens de voir paraître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus.
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
PHILINTE.
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?
ALCESTE.
Allez, vous devriez mourir de pure honte ;
Une telle action ne saurait s’excuser.
Et tout homme d’honneur s’en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;
De protestations, d’offres et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements ;
Et, quand je vous demande après quel est cet homme,
À peine pouvez-vous dire comme il se nomme ;
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent.
Morbleu ! c’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme ;
Et si, par un malheur, j’en avais fait autant.
Je m’irais, de regret, pendre tout à l’instant.
PHILINTE.
Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ;
Et je vous supplierai d’avoir pour agréable
Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas pour cela, s’il vous plaît.
ALCESTE.
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !