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corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là !

béralde.

Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.

argan.

Par la mort non de diable ! si j’étois que des médecins, je me vengerois de son impertinence ; et, quand il sera malade, je le laisserois mourir sans secours. Il auroit beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerois pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirois : Crève, crève ; cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté[1].

béralde.

Vous voilà bien en colère contre lui.

argan.

Oui. C’est un malavisé ; et si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis.

béralde.

Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours.

argan.

Tant pis pour lui, s’il n’a point recours aux remèdes.

béralde.

Il a ses raisons pour n’en point vouloir, et il soutient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que pour lui, il n’a justement de la force que pour porter son mal.

argan.

Les sottes raisons que voilà ! Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage ; car cela m’échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal.

béralde.

Je le veux bien, mon frère ; et, pour changer de discours, je vous dirai que, sur une petite répugnance que vous té-

  1. On ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse en se rappelant de combien peu la mort de Molière suivit cette plaisanterie, en pensant que trois jours après qu’il l’eut dite pour la première fois sur le théâtre, il expira privé des secours des médecins. (Auger.)