Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
548
LES FEMMES SAVANTES.

Trissotin.
Au reste, il fait merveille en vers ainsi qu’en prose,
Et pourroit, s’il vouloit, vous montrer quelque chose.

Vadius.
Le défaut des auteurs, dans leurs productions,
C’est d’en tyranniser les conversations,
D’être au Palais, au Cours, aux ruelles, aux tables,
De leurs vers fatigants lecteurs infatigables.
Pour moi, je ne vois rien de plus sot, à mon sens,
Qu’un auteur qui partout va gueuser des encens,
Qui, des premiers venus saisissant les oreilles,
En fait le plus souvent le martyr de ses veilles.
On ne m’a jamais vu ce fol entêtement ;
Et d’un Grec, là-dessus, je suis le sentiment,
Qui, par un dogme exprès, défend à tous ses sages
L’indigne empressement de lire leurs ouvrages.
Voici de petits vers pour de jeunes amants,
Sur quoi je voudrois bien avoir vos sentiments.

Trissotin.
Vos vers ont des beautés que n’ont point tous les autres.

Vadius.
Les Graces et Vénus règnent dans tous les vôtres.

Trissotin.
Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.

Vadius.
On voit partout chez vous l’ithos et le pathos.

Trissotin.
Nous avons vu de vous des églogues d’un style
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.

Vadius.
Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous[1].

Trissotin.
Est-il rien d’amoureux comme vos chansonnettes ?

Vadius.
Peut-on voir rien d’égal aux sonnets que vous faites ?

  1. Ici Molière met en action un passage fort piquant de l’Éloge de la Folie : « Rien au monde n’est si plaisant que de voir les ânes s’entre-gratter, soit par des vers, soit par des éloges qu’ils s’adressent sans pudeur. Vous surpassez Alcée, dit l’un ; et vous Callinique, dit l’autre : vous éclipsez l’orateur romain ; et vous, vous effacez le divin Platon. »