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NICOLE.

Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle.

MONSIEUR JOURDAIN.

Taisez-vous, ma servante et ma femme.

MADAME JOURDAIN.

Est-ce que vous voulez apprendre à danser pour quand vous n’aurez plus de jambes ?

NICOLE.

Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu’un ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Taisez-vous, vous dis-je : vous êtes des ignorantes l’une et l’autre ; et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela.

MADAME JOURDAIN.

Vous devriez bien plutôt songer à marier votre fille, qui est en âge d’être pourvue.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je songerai à marier ma fille quand il se présentera un parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses.

NICOLE.

J’ai encore ouï dire, madame, qu’il a pris aujourd’hui, pour renfort de potage, un maître de philosophie.

MONSIEUR JOURDAIN.

Fort bien. Je veux avoir de l’esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens.

MADAME JOURDAIN.

N’irez-vous point, l’un de ces jours, au collège, vous faire donner le fouet, à votre âge ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Pourquoi non ? Plût à Dieu l’avoir tout à l’heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu’on apprend au collège[1] !

NICOLE.

Oui, ma foi, cela vous rendroit la jambe bien mieux faite.

MONSIEUR JOURDAIN.

Sans doute.

MADAME JOURDAIN.

Tout cela est fort nécessaire pour conduire votre maison !

  1. « La sotte chose qu’un vieillard abécédaire ! On peut continuer en tout temps l’estude, non pas l’escholage. » (Montaigne.)