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sante l’approbation de Louis XIV. Sincère ou non, inspirée par l’hypocrisie ou les véritables sentiments religieux, la colère des adversaires de l’auteur fut portée aux dernières limites.

Cette pièce fut attaquée avec violence par un sieur de Rochemont, qui, en demandant la punition de Molière, osa rappeler « qu’Auguste fit mourir un bouffon qui avoit fait raillerie de Jupiter, et défendit aux femmes d’assister à des comédies plus modestes que celles de Molière. Il ajoute que Théodose condamna aux bêtes des farceurs qui tournoient en dérision nos cérémonies, dans des pièces qui n’approchoient point de l’emportement qui paroît au Festin de Pierre. » Saint-Évremond portait du Festin de Pierre un jugement à peu près semblable, et disait qu’il n’avait jamais vu jouer cette pièce, sans désirer que l’auteur fût foudroyé comme son athée.

Abstraction faite des faux dévots et des jésuites, ce scandale s’explique facilement quand on se reporte au dix-septième siècle ; et si, d’une part, on a exagéré dans le blâme, il nous semble que, d’autre part, on n’a pas moins exagéré, en prêtant à Molière l’intention d’effrayer les impies par l’exemple d’un châtiment terrible.

Le passage suivant, emprunté aux Notes historiques de M. Bazin, nous paraît présenter la question sous son véritable jour : « Malheureusement, dit M. Bazin, il y a au fond même du sujet de Don Juan, quelque bonne foi qu’on y apporte, quelque sérieuse intention qu’on ait de le faire servir à l’édification du prochain, un inconvénient contre lequel nul talent ne saurait prévaloir. C’est que le libertin amuse, qu’il met le spectateur de son parti, tant que dure son péché en action, et que le châtiment surnaturel, qui arrive à la fin pour terminer la pièce, n’épouvante et ne corrige personne. Et, dans le fait, on ne voit pas que Molière, qui pouvait assurément beaucoup, se soit donné trop de peine pour éviter ce mauvais résultat. Son don Juan incrédule, moqueur, brave, mettant toujours l’honneur à part dans sa mauvaise conduite, toujours heureux jusqu’à ce qu’un miracle s’opère, n’était pas fait certainement pour rendre odieux le libertinage, surtout quand l’auteur n’avait songé à lui opposer qu’un valet poltron, gourmand et cupide, dont il eut encore le tort de se donner le rôle sous le nom de Sganarelle. Aussi personne n’y fut-il trompé, et le Festin de Pierre, joué le 15 février 1665, aggrava ce qu’il semblait vouloir réparer. On doit permettre aux partis, même à ceux dont on se tient le plus éloigné, d’être clairvoyants sur leurs intérêts. Les dévots sentirent bien qu’on leur faisait un nouvel outrage, et ils s’en plaignirent. Dès la seconde représentation, il fallut retrancher quelques passages, cette scène « du pauvre » notamment, dont le dernier mot a de quoi confondre, lorsqu’on l’entend pro-