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552 NOTICE.

avec emportement : « Voyez comment, pour multiplier ses plaisanteries, cet liomrne trouble tout l’ordre de la société ; avec quel scandale il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée ; comment il tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs ! Il fait rire, il est vrai, et n’en devient que plus coupable, en forçant par un charme invincible les sages mêmes de se prêter à des railleries qui devraient attirer leur indignation. J’entends dire qu’il attaque les vices : mais je voudrais bien que l’on comparât ceux qu’il attaque avec ceux qu’il favorise... Quel est le phis criminel d’un paysan assez fou pour épouser ime demoiselle, ou d’une femme qui cherche à désiionorer son épou ? Que penser d’unp pièce où le parterre applaudit à l’infidélité, au mensonge, à l’mipudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni ? » Sans aller aussi loin que Rousseau, la plupart des critiques se sont rangés à son avis. La Harpe trouve aussi le sujet immoral et la conduite d’Angélique d’un mauvais exemple. Voltaire, plus indulgent, déclare « que la coquetterie de la femme n’est que la punition de la sottise qu’a faite George Dandin d’épouser la fille d’un gentilhomme ridicule. » Petitot, de son côté, pense qu’on ne saurait blâmer Molière , attendu qu’il a pris soin de ne pas rendre Angélique intéressante, et qu’il lui a donné un caractère tel, qu’elle ollre au théâtre le seul exemple d’une femme qui trompe son mari sans avoir le public de son côté. Enfin, M. Génin, résumant le pour et le contre, met en relief avec beaucoup de justesse ce qu’il y a de mal ei de bien ; et c’est, nous le pensons, à son avis qu’il faut se ranger, quand on veut juger sans enthousiasme, comme sans prévention. « Le vice d’Angélique, dit M. Génin, joue le rôle avantageux ; il triomphe, et les conséquences de ce vice sont plus funestes à la société que celles de la .sottise de George Daudin. Toutefois ce n’est pas à Rousseau à le plaindre et à déclamer si haut ; car la récrimination serait facile contre lui. L’adultère de madame de Wolmar est d’un pire exemple que celui d’Angélique. Le vice d’Angélique n’est que spirituel ; dans JuUe il est intéressant, ennobli parla passion ; il emprunte les dehors de la verln, to ;!t au plus est-il présenté comme ime faiblesse rachetable. On ne peut s’empêcher de mépriser Angélique ; mais Rousseau prétend faire estimer Julie, Julie qui n’a pas, comme Angélique, l’excuse d’un mari sot, d’un George Dandin. Enfin, quand on a ri à la comédie de Molière, toutes les conséquences, ou à peu près, en sont épuisées, il n’en reste guère de trace ; au contraire, la Nouvelle Uéloïse a fondé cette école de l’adultère sentimental, qui, de nos jours, a envahi le roman, le théâtre, et jusqu’à certaine s théories philosophiques. ■