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d’encourir le reproche d’indécence en parlant d’une pièce où l’auteur a su vaincre tant de difficultés pour respecter les convenances. Nous nous bornerons donc à dire que le tribunal, connaissant le mari de la belle en litige pour le plus robuste de tout le pays, ordonna, par une mesure assez semblable à celle de l’ancien congrès, qu’elle accorderait successivement ses faveurs aux deux prétendants, et que celui qui donnerait le plus de preuves d’amour et de vigueur serait présumé être fondé dans sa demande. Le véritable époux atteignit, au grand étonnement de ce singulier jury, le nombre des travaux d’Hercule. Déjà les assistants, persuadés de l’inutilité des efforts de son rival, voulaient que, sans plus attendre, on prononçât en sa faveur ; mais, le tribunal en ayant ordonné autrement, quelle fut la surprise de l’assemblée lorsqu’elle vit le nouvel athlète se montrer digne d’être, seul, l’époux des cinquante filles de Danaüs ! On allait lui adjuger le prix, quand le président secria : « Le premier est un héros, mais il n’a pas dépassé les forces de la nature humaine ; le second ne peut être qu’un dieu qui s’est moqué de nous. » Le dieu avoua tout, et s’en retourna au ciel en riant. »

Le sujet d’Amphitryon fut traité chez les Grecs par Euripide et Archippus ; chez les Latins par Plaute. La pièce de Plaute eut le plus grand succès, et on la jouait aux fêtes consacrées à Jupiter, bien longtemps après la mort de l’auteur. Avant Molière, Rotrou donna dans les Sosies une imitation libre de l’auteur latin, et Molière à son tour fit à ce dernier de nombreux emprunts ; mais tous les critiques ont été d’accord pour placer la copie au-dessus de l’original.

« Molière a, dit Bayle, pris beaucoup de choses de Plaute, mais il leur donne un autre tour ; et s’il n’y avait qu’à comparer ces deux pièces l’une avec l’autre pour décider la dispute sur la supériorité ou l’infériorité des anciens, je crois que M. Perrault gagnerait bientôt sa cause. Il y a des finesses et des tours dans l’Amphitryon de Molière qui surpassent de beaucoup les railleries de l’Amphitryon latin. Combien de choses n’a-t-il pas fallu retrancher de la comédie de Plaute qui n’eussent pas réussi sur le théâtre français ! combien d’ornements et de traits d’une nouvelle invention n’a-t-il pas fallu que Molière ait insérés dans son ouvrage pour le mettre en état d’être applaudi comme il l’a été ! Par la seule comparaison des prologues, on peut connaître que l’avantage est du côté de l’auteur moderne. »

La Harpe pense à peu près comme Bayle : « Peu d’ouvrages sont aussi réjouissants qu’Amphitryon. On a remarqué, il y a longtemps, que les méprises sont une des sources du comique les plus fécondes ; et comme il n’y a point de méprise plus forte que celle que peut faire naître un personnage qui parait double,