Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/448

Cette page a été validée par deux contributeurs.


ACTE V


Scène 1

Orgon, Cléante.


Cléante
Où voulez-vous courir ?


Orgon
Où voulez-vous courir ? Las ! que sais-je ?


Cléante
Où voulez-vous courir ? Las ! que sais-je ? Il me semble

Que l’on doit commencer par consulter ensemble
1575Les choses qu’on peut faire en cet événement.

Orgon
Cette cassette-là me trouble entièrement.

Plus que le reste encore elle me désespère.

Cléante
Cette cassette est donc un important mystère ?


Orgon
C’est un dépôt qu’Argas, cet ami que je plains,

1580Lui-même en grand secret m’a mis entre les mains.
Pour cela dans sa fuite il me voulut élire ;
Et ce sont des papiers, à ce qu’il m’a pu dire,
Où sa vie et ses biens se trouvent attachés[1].

Cléante
Pourquoi donc les avoir en d’autres mains lâchés ?


Orgon
1585Ce fut par un motif de cas de conscience.

J’allai droit à mon traître en faire confidence ;
Et son raisonnement me vint persuader
De lui donner plutôt la cassette à garder,
Afin que pour nier, en cas de quelque enquête,

  1. Les mémoires du temps sont pleins d’aventures semblables à celle d’Orgon. Nous en rapporterons une que Voltaire a mise au théâtre. En 1661, c’est-à-dire à peu près à l’époque Molière commençait le Tartuffe, Gourville, obligé de fuir pour ne pas être pendu en personne comme il le fut en effigie, laissa deux cassettes précieuses, l’une à Ninon, l’autre à un dévot hypocrite. À son retour, Ninon lui rendit sa cassette en fort bon état, mais il n’en fut pas de même de l’hypocrite ; celui-ci avait employé le dépôt en œuvres pies, préférant, disait-il, le salut de l’âme de Gourville à un argent qui sûrement l’aurait damné.
    (Aimé Martin.)