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Scène 3

Orgon, Elmire, Mariane, Cléante, Dorine.


Orgon
Ah ! je me réjouis de vous voir assemblés.

(À Mariane.)
Je porte en ce contrat de quoi vous faire rire,
Et vous savez déjà ce que cela veut dire.

Mariane, aux genoux d’Orgon.
Mon père, au nom du ciel, qui connaît ma douleur,

1280Et par tout ce qui peut émouvoir votre cœur,
Relâchez-vous un peu des droits de la naissance,
Et dispensez mes vœux de cette obéissance.
Ne me réduisez point, par cette dure loi,
Jusqu’à me plaindre au ciel de ce que je vous doi ;
1285Et cette vie, hélas ! que vous m’avez donnée,
Ne me la rendez pas, mon père, infortunée.
Si, contre un doux espoir que j’avais pu former,
Vous me défendez d’être à ce que j’ose aimer,
Au moins, par vos bontés, qu’à vos genoux j’implore,
1290Sauvez-moi du tourment d’être à ce que j’abhorre ;
Et ne me portez point à quelque désespoir,
En vous servant sur moi de tout votre pouvoir

Orgon, se sentant attendrir.
Allons, ferme, mon cœur ! point de faiblesse humaine !


Mariane
Vos tendresses pour lui ne me font point de peine ;

1295Faites-les éclater, donnez-lui votre bien,
Et, si ce n’est assez, joignez-y tout le mien ;
J’y consens de bon cœur, et je vous l’abandonne :
Mais, au moins, n’allez pas jusques à ma personne ;
Et souffrez qu’un couvent, dans les austérités,
1300Use les tristes jours que le ciel m’a comptés.

Orgon
Ah ! voilà justement de mes religieuses,

Lorsqu’un père combat leurs[1] flammes amoureuses !
Debout. Plus votre cœur répugne à l’accepter,
Plus ce sera pour vous matière à mériter.
1305Mortifiez vos sens avec ce mariage,
Et ne me rompez pas la tête davantage.

  1. Var. Lorsqu’un père combat les flammes amoureuses.