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Efforçons-nous de vivre avec toute innocence,
Et laissons aux causeurs une pleine licence.

Dorine
Daphné, notre voisine, et son petit époux,

Ne seraient-ils point ceux qui parlent mal de nous ?
105Ceux de qui la conduite offre le plus à rire
Sont toujours sur autrui les premiers à médire :
Ils ne manquent jamais de saisir promptement
L’apparente lueur du moindre attachement,
D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,
110Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie ;
Des actions d’autrui, teintes de leurs couleurs,
Ils pensent dans le monde autoriser les leurs,
Et, sous le faux espoir de quelque ressemblance,
Aux intrigues qu’ils ont donner de l’innocence,
115Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés
De ce blâme public dont ils sont trop chargés[1].

Madame Pernelle
Tous ces raisonnements ne font rien à l’affaire.

On sait qu’Orante mène une vie exemplaire ;
Tous ses soins vont au ciel ; et j’ai su, par des gens,
120Qu’elle condamne fort le train qui vient céans.

Dorine
L’exemple est admirable, et cette dame est bonne !

Il est vrai qu’elle vit en austère personne ;
Mais l’âge, dans son âme, a mis ce zèle ardent,
Et l’on sait qu’elle est prude, à son corps défendant.
125Tant qu’elle a pu des cœurs attirer les hommages,
Elle a fort bien joui de tous ses avantages ;
Mais, voyant de ses yeux tous les brillants baisser,
Au monde qui la quitte elle veut renoncer,
Et du voile pompeux d’une haute sagesse
130De ses attraits usés déguiser la faiblesse.
Ce sont là les retours des coquettes du temps :
Il leur est dur de voir déserter les galants.
Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude

  1. Cette tirade fait allusion à la comtesse de Soissons, Olympe Mancini, qui, pour se venger de l’abandon du roi, sema la nouvelle de ses amours avec La Vallière, encore vertueuse, et en instruisit la reine, en y donnant le tour qu’elle voulait qu’on y croie. Son petit époux joua un rôle dans cette intrigue, et ils furent exilés tous deux.
    (Aimé Martin.)