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Maintenant, après tant de témoignages d’admiration ou des critiques tombées de si haut, s’il nous est permis de poser une question, nous nous demanderons : Cette pièce de Molière, qui a soulevé tant d’orages, et de notre temps même occasionné plus d’une émeute, cachait-elle réellement, comme on l’a dit d’un côté, une attaque contre la croyance, ou, comme on l’a dit de l’autre, une défense de la croyance contre l’hypocrisie qui ne fait que la compromettre ? Nous pensons, pour notre part, que Molière n’avait, à proprement parler, aucune intention religieuse, soit dans le sens de l’attaque, soit dans le sens de la défense, et qu’il voulait tout simplement flétrir un vice, en laissant la religion complètement en dehors. Mais, nous ajouterons qu’en attaquant les faux dévots, il forgea, non pas positivement pour les hommes de son temps, mais pour ceux qui les suivirent, des armes qui devaient blesser plus d’un croyant sincère. Molière, en effet, placé au milieu des génies conservateurs et religieux du dix-septième siècle, forme avec Bayle et La Fontaine la transition de l’école de Montaigne à l’école de Voltaire. Le trait lancé par Poquelin, contre ceux qui de son temps se couvraient de la piété comme d’un masque, et l’exploitaient comme un instrument, ce trait fut bientôt ramassé comme sur un champ de bataille par ceux qui ne croyaient plus, et lancé de nouveau par eux contre ceux qui croyaient encore.

Tartuffe eut la même destinée que les Provinciales. Il dépassa le but que sans aucun doute l’auteur s’était proposé, et l’on peut de tous points rappeler, à propos de Molière, ce jugement de M. Sainte-Beuve sur Pascal :

« En démasquant si bien le dedans, il contribua à discréditer la pratique ; en perçant si victorieusement le casuisme, il atteignit, sans y songer, la confession même, c’est-à-dire le tribunal qui rend nécessaire ce code de procédure morale et, jusqu’à un certain point, cet art de chicane. On débite chez ces apothicaires bien des poisons ; quand cela fut bien prouvé, on eut l’idée toute naturelle de conclure à laisser là le remède. Ce qu’un de ses descendants les plus directs, Paul-Louis Courier, a dit du confessionnal, l’auteur des Provinciales l’a préparé.

« L’esprit humain, une fois éveillé, tire jusqu’au bout les conséquences. La raillerie est comme ces coursiers des dieux d’Homère : en trois pas au bout du monde. Les Provinciales, le Tartuffe et le Mariage de Figaro ! »