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Bossuet, dans sa Lettre sur les spectacles, est allé plus loin encore dans ce passage, où, suivant la remarque de M. Sainte-Beuve, l’idée de Tartuffe s’aperçoit à travers le pêle-mêle de l’anathème :

« Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière, ou que vous ne rangiez pas parmi les pièces d’aujourd’hui celles d’un auteur qui vient à peine d’expirer, et qui remplit encore à présent tous les théâtres des équivoques les plus grossières dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens. — Ne m’obligez pas à les répéter ; songez seulement si vous oserez soutenir à la face du ciel des pièces où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours défendue et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée ou toujours en crainte d’être violée par les derniers attentats… »

« La postérité saura peut-être la fin de ce poète-comédien, qui en jouant son Malade imaginaire, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez ! » Bossuet, en traçant ces lignes, ignorait sans doute que Machiavel avait écrit la Mandragore pour le pape Jules II, et que le pape fut très-satisfait de Machiavel.

C’était peu cependant d’attaquer Molière comme un ennemi de la religion ; on le signala aussi comme un ennemi de l’autorité royale. Parmi ses adversaires, chacun le combattit sur son propre terrain et avec ses armes : les gens d’église du haut de la chaire ou dans des traités ascétiques, les gens de lettres dans des satires, des libelles ou des comédies, et l’on vit paraître, en 1670, sous le titre de la Critique du Tartuffe, une pièce en un acte et en vers, qui ne paraît pas du reste avoir été représentée, et dont l’auteur cherche à prouver qu’un factieux, hostile au roi, pouvait seul avoir conçu l’idée de Tartuffe.

On le voit par ce que nous venons de dire, si nous trouvons parmi les adversaires de Molière, à l’occasion de la pièce qu’on va lire, d’obscurs pamphlétaires qui n’osent pas se nommer, un archevêque à qui ses mœurs ne donnaient pas le droit d’être sévère, et des intrigants qui criaient au scandale parce qu’ils étaient blessés par le succès, nous trouvons aussi des hommes d’un grand esprit et d’une piété sincère ; et il est juste de reconnaître — nous ne discutons pas, nous constatons des faits — qu’il y eut parmi ceux qui condamnèrent Tartuffe, autre chose que de faux dévots et des jésuites, comme on le répète dans la plupart des livres modernes. « Ainsi, dit éloquemment M. Sainte-Beuve, une grande rumeur, un applaudissement grossi d’injures. De Maistre insultant à Pascal, Bossuet (chose plus grave !)