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Font que nous renversons ici l’ordre des choses.

DAPHNÉ.

Nous vous laissons, Myrtil, pour l’avis le meilleur,
Consulter sur ce choix vos yeux et votre cœur ;
Et nous n’en voulons point prévenir les suffrages
Par un récit paré de tous nos avantages.

MYRTIL.

C’est me faire un honneur dont l’éclat me surprend ;
Mais cet honneur, pour moi, je l’avoue, est trop grand.
À vos rares bontés il faut que je m’oppose ;
Pour mériter ce sort je suis trop peu de chose ;
Et je serois fâché, quels qu’en soient les appas,
Qu’on vous blâmât pour moi de faire un choix trop bas.

ÉROXÈNE.

Contentez nos désirs, quoi qu’on en puisse croire,
Et ne vous chargez point du soin de notre gloire.

DAPHNÉ.

Non, ne descendez point dans ces humilités,
Et laissez-nous juger ce que vous méritez.

MYRTIL.

Le choix qui m’est offert s’oppose à votre attente,
Et peut seul empêcher que mon cœur vous contente.
Le moyen de choisir de deux grandes beautés,
Égales en naissance et rares qualités ?
Rejeter l’une ou l’autre est un crime effroyable,
Et n’en choisir aucune est bien plus raisonnable.

ÉROXÈNE.

Mais en faisant refus de répondre à nos vœux,
Au lieu d’une, Myrtil, vous en outragez deux.

DAPHNÉ.

Puisque nous consentons à l’arrêt qu’on peut rendre,
Ces raisons ne font rien à vouloir s’en défendre.

MYRTIL.

Eh bien ! si ces raisons ne vous satisfont pas,
Celle-ci le fera : j’aime d’autres appas ;
Et je sens bien qu’un cœur qu’un bel objet engage
Est insensible et sourd à tout autre avantage.

LYCARSIS.

Comment donc ? Qu’est-ceci ? Qui l’eût pu présumer ?
Et savez-vous, morveux, ce que c’est que d’aimer ?