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Alceste
1105Mais en disant cela, songez-vous, je vous prie,

Que cette personne est, madame, votre amie ?

Arsinoé
Oui. Mais ma conscience est blessée en effet

De souffrir plus longtemps le tort que l’on vous fait.
L’état où je vous vois afflige trop mon âme,
1110Et je vous donne avis qu’on trahit votre flamme.

Alceste
C’est me montrer, madame, un tendre mouvement,

Et de pareils avis obligent un amant.

Arsinoé
Oui, toute mon amie, elle est, et je la nomme,

Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme[1]
1115Et le sien n’a pour vous que de feintes douceurs.

Alceste
Cela se peut, madame, on ne voit pas les cœurs ;

Mais votre charité se serait bien passée
De jeter dans le mien une telle pensée.

Arsinoé
Si vous ne voulez pas être désabusé,

1120Il faut ne vous rien dire ; il est assez aisé.

Alceste
Non. Mais sur ce sujet, quoi que l’on nous expose,

Les doutes sont fâcheux plus que toute autre chose ;
Et je voudrais, pour moi, qu’on ne me fît savoir
Que ce qu’avec clarté l’on peut me faire voir.

Arsinoé
1125Hé bien ! c’est assez dit ; et sur cette matière

Vous allez recevoir une pleine lumière.

  1. Sur ce passage, voici la remarque de Voltaire :

    « Il faut dire toute mon amie qu’elle est, et non pas toute mon amie elle est. Et je la nomme ; cet et est de trop. Je la nomme est vicieux ; le terme propre est je la déclare ; on ne peut nommer qu’un nom : je le nomme grand, vertueux, barbare ; je le déclare indigne de mon amitié. »
    (Mélanges, t.III, p. 228.)
    Il est manifeste que Voltaire n’a pas saisi le sens de ce passage. Il a supposé une inversion très dure, et compris : Elle est toute, c’est-à-dire, tout à fait, mon amie, et je la nomme indigne d’asservir, etc. ; tandis que le sens véritable est celui-ci : Toute mon amie qu’elle est, elle est (et je ne crains pas de la nommer, et je le dis tout haut), elle est indigne, etc.
    Il est probable que Voltaire avait sous les yeux un texte mal ponctué.
    (F Génin.)