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Don Juan

Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité[1]. Mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté[2].

Il met la main à l’épée, et court au lieu du combat.



Scène III

SGANARELLE, seul.
Sganarelle

Mon maître est un vrai enragé d’aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas. Mais, ma foi, le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois.



Scène IV

DON JUAN, DOM CARLOS ; SGANARELLE au fond du théâtre.
Don Carlos, remettant son épée.

On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras. Souffrez, monsieur, que je vous rende grâce d’une action si généreuse, et que…

Don Juan

Je n’ai rien fait, monsieur, que vous n’eussiez fait en ma place. Notre propre honneur est intéressé dans de pareilles aventures ; et l’action de ces coquins était si lâche, que c’eût été y prendre part que de ne s’y pas opposer. Mais par quelle rencontre vous êtes-vous trouvé entre leurs mains ?

Don Carlos

Je m’étais par hasard égaré d’un frère et de tous ceux de notre suite ; et comme je cherchais à les rejoindre, j’ai fait rencontre de ces voleurs, qui d’abord ont tué mon cheval, et qui, sans votre valeur, en auraient fait autant de moi.

Don Juan

Votre dessein est-il d’aller du côté de la ville ?

  1. À propos de ce mot humanité, qui n’était point d’un usage populaire du temps où fut jouée cette pièce, M. Aimé Martin remarque justement que Molière, en l’employant, semble pressentir et critiquer à l’avance l’abus qu’en feront au commencement du siècle suivant les esprits forts, et à la fin de ce même siècle, les scélérats qui ont fait de la guillotine l’instrument de leur politique.
  2. Don Juan expose sa vie pour sauver celle d’un étranger, tandis qu’il est assez lâche pour immoler à ses caprices les plus faibles créatures : c’est ainsi que lovelace, dont le caractère est évidemment tracé sur celui de don Juan, est fidèle à ses amis, généreux envers ses ennemis, plein de franchise et de valeur ; et cependant sa conduite envers une jeune personne sans défense, et qu’il retient prisonnière, est celle du plus vil des scélérats.
    (Geoffroy.)