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Don Juan

Comment donc ?

Sganarelle

Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.

Don Juan

Tu leur as répondu que tu n’y entendais rien ?

Sganarelle

Moi ? Point du tout. J’ai voulu soutenir l’honneur de mon habit ; j’ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun.

Don Juan

Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ?

Sganarelle

Ma foi ! monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper ; j’ai fait mes ordonnances à l’aventure ; et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu’on m’en vînt remercier.

Don Juan

Et pourquoi non ? Par quelle raison n’aurais-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres médecins ? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès ; et tu peux profiter, comme eux, du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.

Sganarelle

Comment, monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ?

Don Juan

C’est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes.

Sganarelle

Quoi ? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ?

Don Juan

Et pourquoi veux-tu que j’y croie ?

Sganarelle

Vous avez l’âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux[1]. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits ;

  1. Métaphoriquement, fait grand tapage, occupe le public. — Le vin émétique