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efforts, de sa servilité, de sa barbarie, il ne recueillait que la honte, la disgrâce et le désespoir. Vainement s’étudiait-il à paraître plus grand que sa fortune : son corps épuisé révélait les tortures de son esprit. Sa haute taille s’était voûtée, il marchait avec peine, et des infirmités cruelles l’assiégeaient. L’inquiétude avait blanchi en peu de mois ses cheveux longtemps noirs. Les soucis avaient ridé son front, et l’insomnie avait creusé ses joues ; mais son regard était encore le même, hautain, féroce et menaçant.

Le jeune Belge le regardait avec surprise. — Ainsi les tyrans aussi subissent leur supplice, se disait-il en voyant ce vieillard exténué, qui n’avait plus du duc d’Albe que le nom, l’orgueil et la soif du sang. Qu’il m’envoie donc à la mort ! je serai moins à plaindre que lui.

Le duc, trop affaibli pour se tenir debout, s’était assis dans un large fauteuil. Trois fois il jeta un regard sur le Flamand, et trois fois il détourna les yeux, comme s’il ne pouvait soutenir sa vue. Enfin, d’une voix étouffée par la douleur, et dont le son rauque trahissait l’épuisement de tous ses organes : Mon fils ! dit il, qu’avez-vous fait de mon fils ?

Quelque odieux que fut le cruel Espagnol, l’altération de ses traits et sa voix déchirante inspirèrent de la pitié à Louis de Winchestre. Votre fils ! répondit-il, je l’ai enlevé à l’opprobre et à l’infamie : il est mort de la mort des braves…

— En combattant son père ! interrompit le duc avec un geste de désespoir.