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— Éloignons-nous, dit-il au comte d’une voix altérée : ce n’est pas maintenant que je puis me présenter dans ce séjour de douleur.

Ils gagnèrent une auberge écartée, où ils laissèrent leurs chevaux. L’hôte leur apprit qu’une attaque d’apoplexie avait enlevé rapidement le vieux seigneur de Gruthuysen, sans qu’il eût éprouvé de grandes souffrances, et que l’on ignorait ce qu’était devenu son héritier.

Les deux voyageurs, se couvrant de leurs larges manteaux de manière à n’être point reconnus, voulurent au moins s’unir aux prières des nombreux amis du vieillard. Ils entrèrent dans l’église où cette lugubre cérémonie avait lieu, et, cachés dans un coin obscur, ils virent le cortège de mort défiler devant eux. Les magistrats de la ville, les chefs, de la noblesse et les doyens des bourgeois marchaient à côté du cercueil. Cent domestiques vêtus de noir le suivaient en répandant des larmes ; ensuite venait la foule des indigents que le vieillard avait nourris de ses largesses. Mais aucun parent du défunt ne conduisait le convoi : on eût dit que c’était le dernier de cette illustre et vertueuse race des Gruthuysen.

— Il est mort entouré seulement d’étrangers ! il est mort regrettant, mon absence ! se dit le noble jeune homme, et une larme s’échappa de ses yeux ; mais un regard jeté sur son compagnon adoucit sa douleur.

— Au moins, pensa-t-il, je puis croire que cette absence était légitime, et qu’il en eût approuvé le motif.