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des larmes de joie et de reconnaissance ! Adieu ! Tandis que vous traverserez les hautes montagnes qui nous séparent d’une terre où règne encore quelque liberté, dans ce vallon solitaire un pauvre prêtre priera pour vous. »

Ils se séparèrent les larmes aux yeux, et les voyageurs se dirigèrent vers les montagnes de Tolède, d’où, par des chemins difficiles mais déserts, ils pouvaient, sans approcher d’aucune ville, traverser toute l’Espagne et gagner les Pyrénées. Carino leur servait de guide. Il connaissait tous les sentiers, toutes les gorges, toutes les ravines ; jamais il ne paraissait rebuté par les obstacles, ni abattu par la fatigue : pendant que les Flamands reposaient dans les asiles sûrs qu’il leur indiquait, lui parcourait les vallées voisines pour se procurer les vivres dont ils avaient besoin. Cependant, à peine touchait-il aux provisions qu’il leur avait apportées : il paraissait ne s’occuper que de ses compagnons et de ses souvenirs. Il ne se plaignait pas ; il ne parlait point de vengeance ; mais on ne l’entendit plus invoquer les saints, on ne le voyait plus sourire, et, à quelque heure de la nuit que les trois Belges s’éveillassent, Carino était debout à côté d’eux, l’œil brillant et les bras croisés sur la poitrine.

Lorsqu’après quinze jours de marche ils parvinrent à la frontière de France, une joie sombre se peignit sur la figure de l’alguazil.

— À présent, dit-il, je puis songer à moi. Adieu, bons Flamands ! retournez dans votre patrie ! Cette