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LE GUEUX DE MER

De pareils sentiments devaient choquer le cœur généreux de Marguerite. Souvent elle avait vu aborder à Bruges des familles d’insulaires zélandais ; elle avait admiré l’air d’innocence et de candeur des jeunes femmes de ce pays, la simplicité mâle de leurs époux et la noble gravité de leurs pères : c’étaient là ceux qu’on peignait maintenant comme des monstres, ceux qu’on voulait égorger, ceux dont il fallait submerger le pays, afin qu’il ne restât plus de vestiges d’un peuple si laborieux. À cette pensée, Marguerite frémissait ; il lui semblait que les Flamands qui l’entouraient étaient les plus dénaturés des hommes, s’ils approuvaient de tels desseins, ou les plus lâches, si, aimant encore leur pays, ils pouvaient garder le silence.

Des plateaux chargés de différentes sortes de vins avaient été présentés à toute l’assemblée. Chacun s’était armé d’un verre, et les dames elles-mêmes avaient accepté des boissons rafraîchissantes ; mais, selon la vieille coutume du pays, on attendait que le bourgmestre donnât l’exemple et le signal de boire, en portant un toast. L’honnête magistrat, qui ne tardait jamais en pareille occasion, s’était déjà avancé au milieu du cercle des dames ; déjà il avait salué profondément la baronne de Berghes, dont sans doute il allait proposer la santé, quand don Sandoval s’approcha de lui, et, de l’air le plus arrogant, lui mit la main sur la bouche, le repoussa en arrière et lui dit : Faites-moi le plaisir, mon cher bourgmestre, de me laisser cette fois remplir votre rôle.