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esprit n’avait rien perdu de sa vivacité prodigieuse, et, habitué à étudier les moindres mouvements de l’Espagnol, il lisait aisément toute sa pensée.

— Un homme faible et maladif, répondit-il en souriant dans sa barbe, ne peut être bien informé des affaires publiques ; aussi ne sais-je presque rien.

— Mais encore ! reprit le gouverneur, qui connaissait l’astuce du Frison et qui voyait à son regard plein de malice qu’il savait quelque importante nouvelle.

Le président baissa la tête, regarda à droite et à gauche, comme s’il eût craint de rencontrer l’œil pénétrant de celui qui l’interrogeait, et répartit enfin à voix basse : Je me suis laissé dire qu’on avait vu en Zélande, sous le costume d’un marin, Guillaume de Nassau.

À ce nom le duc d’Albe s’élança de son siège : Guillaume de Nassau ! répéta-t-il en frémissant et avec un horrible blasphème que la plume se refuse à tracer ; l’entendez-vous, Albernot ? (c’était son secrétaire qui entrait dans ce moment) l’entendez-vous ? le Taciturne est en Zélande !

Albernot recula de surprise et lâcha le grand portefeuille qu’il tenait à la main. Tous les papiers se répandirent à terre.

— Prenez donc garde à ce que vous faites ! dit le fier Espagnol en se rasseyant, car il était honteux d’avoir laissé percer son agitation. Que le prince d’Orange soit en Zélande ou ailleurs, c’est ce qui