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minai cette troupe de monstres, étais-je criminel envers Dieu et envers mon souverain ?

» Pendant une année tout entière je vécus tranquille au milieu des Indiens qui me regardaient comme leur père. Au bout de ce temps les Espagnols revinrent en plus grand nombre. Les sauvages se réfugièrent dans les montagnes : moins agile, et peut-être aussi moins accoutumé à fuir, je tombai dans les mains des ennemis ; ils me chargèrent de chaînes et me transportèrent à bord de leurs vaisseaux.

» Couvert de blessures, accablé d’outrages et de mauvais traitements, j’attendais la mort avec impatience. Une tempête vint mettre un terme à mes souffrances. La flotte fut dispersée, et le navire où j’étais fut pris par un capitaine de la Rochelle, qui faisait la guerre aux Espagnols dans le nouveau monde. Il me délivra, et m’amena en France, d’où je revins dans ma patrie.

» Ma patrie ! je ne pus la reconnaître : je cherchai vainement dans nos malheureuses cités ce peuple si franc, si gai, si bienveillant ; vainement je cherchai cette noblesse si fière et si généreuse ; ce clergé plein de douceur, de charité, de zèle apostolique. Le duc d’Albe avait tout changé. Une multitude triste et méfiante, des gentilshommes appauvris et humiliés, des prêtres fanatiques ou dépouillés de toute influence, voilà ce que je vis en Flandre, et je n’eus pas la force de supporter longtemps un pareil spectacle.

» C’était mon devoir, c’était mon désir le plus cher de voler auprès de vous ; je connaissais votre indul-