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Jean Guenille

De la façon la plus simple, Monsieur le commissaire… (Il se cale bien d’aplomb, pour faire son récit.) Voilà comment… ça s’est passé… (Un temps.) Il pouvait être minuit un quart… minuit et demi… J’étais sur le Boulevard… à la sortie du Vaudeville…

Le Commissaire

Ah ! vous êtes un homme de premières… vous aussi ?

Jean Guenille, modestement.

Faut bien !… (Reprenant.) Mais la concurrence de plus en plus nombreuse… la fatigue d’une journée sans pain… ma hernie aussi… car j’ai, Monsieur le commissaire, une hernie qui me gêne beaucoup… et fait que je ne suis pas très agile… à preuve que j’ai été réformé, anciennement, du service militaire, à cause de cette infirmité… Oui… enfin… tout cela… vous comprenez, m’avait valu une soirée dérisoire… ah ! misère !… deux sous… et encore deux sous étrangers… qu’un beau monsieur… dans votre genre… Monsieur le commissaire… un monsieur bien nippé… pour ça !… cravate blanche… plastron de chemise boutonné de perles… canne à béquille d’or… de la soie et de la fourrure partout… m’avait refilés, pour lui avoir ouvert la portière de son coupé… (Haussant les épaules.) Deux sous… deux mauvais sous… à un pauvre bougre comme moi… un millionnaire !… Si ça ne fait pas pitié !…

Le Commissaire

C’est malheureux, sans doute… mais à qui de plus pauvre vouliez-vous donc qu’il les repassât ?… N’atta-