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dîné ?… Heu !… Est-ce croyable ?… Et tu n’as rien dit… et tu as trouvé cela très bien… et tu tolères qu’elle me parle comme à un pauvre ?… Qu’est-ce que cela me fait, à moi, qu’elle n’ait pas dîné… quand je souffre… et que j’ai besoin d’elle ?… Non, je t’assure que ça n’est pas tenable, et tu devrais avoir tout de même plus de dignité dans tes passions… (Le mari n’a pas cessé de tambouriner sur la table avec ses doigts. On sent qu’il voudrait parler, répondre, mais il fait de violents efforts pour se taire.) Allons, comprends une bonne fois ce que je te demande… Je ne t’adresse pas de reproches… je ne t’en veux pas… Ça n’est pas de ta faute… Tu as une nature comme ça… Mais, qu’est-ce que cela te ferait de me laisser mes bonnes ? Il y a d’autres femmes que les bonnes et que les souillons de la rue… (Plus lentement, sans aigreur.) Cette jeune femme… notre voisine… elle est vraiment très jolie… Enfin, elle vaut mieux… elle est plus flatteuse pour un homme qu’une domestique… est-ce vrai ? Avec cela, elle doit être très amoureuse… très passionnée… Et puisqu’elle te plaît… puisque j’accepte que tu la reçoives… puisque je t’en prie… puisque cela serait pour moi un repos… un soulagement… du bonheur, presque !… Tu ne peux pas me refuser cela… Et puis… elle me tiendrait société quelquefois… Voyons, il n’y a rien de déshonorant dans ce que je te propose… Nous connaissons beaucoup de ménages… et des plus respectés… qui vivent de la sorte… Ce qui est mal, c’est de faire ces choses-là… à l’insu l’un de l’autre… Eh bien… fais-les franchement… sans te cacher de moi…

Le mari

Tu avoueras que j’ai eu de la patience… Je t’ai laissé parler… débiter tes infamies… sans t’interrompre…