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LE MAIRE, avec un effort pour dominer son émotion.

Je me le figure ainsi… avec quelle émotion !… Courtaud et rondelet, il avait, entre des jambes grêles, un petit ventre, bien tendu sous le gilet… Sur le plastron de la chemise, son menton s’étageait, congrûment, en un triple bourrelet de graisse jaune… et ses yeux, au milieu des paupières boursouflées, jetaient l’éclat triste, livide et respectable de deux petites pièces de dix sous… Il était beau… Nul ne représenta plus exactement l’idéal que l’Économie politique, les gouvernements libéraux et les sociétés démocratiques se font de l’être humain, c’est-à-dire quelque chose d’impersonnel, d’improductif et d’inerte… quelque chose de mort qui marche, parle, gesticule, digère, pense et paie, selon des mécanismes soigneusement huilés par les lois… quelque chose, enfin, de fon-da-men-tal… qu’on appelle : un petit rentier.

UN CONSEILLER

Bravo !… C’est vrai !…

LE MAIRE

Oui, Messieurs… Joseph — (Avec une fierté attendrie.) appelons-le Joseph, comme son grand, comme son immortel aïeul — Joseph, donc, en qui je veux considérer plus qu’un homme… un principe social… nous aura donné, toujours, l’exemple, le haut et vivifiant exemple d’une vertu — ah ! bien française, celle-là — d’une vertu précieuse entre toutes, d’une vertu qui fait les hommes forts et les peuples libres… l’Économie !… Joseph aura été, parmi nous, le constant, le vivant symbole de l’épargne… de cette petite épargne que nulle déception n’atteint, que nul malheur ne lasse… et qui, sans cesse trompée, volée, ruinée, ne continue