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incohérences… ses crimes… oui !… mais avec la lourde fatalité de ses misères aussi… Et il faut la plaindre… plus qu’il ne convient de la haïr… Car on ne sait pas… Chez l’homme le plus déchu… chez le criminel le plus endurci… il y a toujours… pour qui sait voir… une petite lueur… par où s’ouvre le chemin de la pitié !…

GERMAINE

La pitié !… Mais c’est parce que j’ai le cœur plein de pitié que j’ai aussi le cœur plein de haine… (Lucien, doucement, se dégage de Germaine. Elle le ramène.) Voyons… voyons… sois gentil… Reviens… (Un temps… Avec effort.) Je ne t’ai pas tout dit… moi non plus… par pudeur pour mes parents et pour moi… Et j’ai eu tort… Car les êtres qui s’aiment doivent tout mettre en commun… leurs joies… leurs douleurs et leurs hontes… Tu connais une partie de ma vie… mais tu ne connais pas toute ma vie… ma vie intérieure et secrète… Eh bien, connais-la… Elle en vaut la peine, je te le jure !… Ma mère !… Rien ou peu de chose… Elle n’est même pas méchante… et elle croit m’aimer… mais son cœur, peu à peu, à son insu, s’est endurci, par l’habitude et par l’exemple… Le peu de conscience qu’il y avait en elle a disparu dans l’opulence, dont elle ne sait que faire, d’ailleurs ; et elle mêle à ce qu’elle appelle sa tendresse pour moi des préoccupations si vulgaires et si viles, si absolument étrangères à l’amour, que je n’ai jamais pu, en dépit de mes efforts et de mes raisonnements, la considérer comme une mère… comme ma mère…

LUCIEN

Tu lui demandais trop.